La perspective d’une imminente artificialisation d’une partie du Jardin d’Essai, interroge les urbanistes de Guadeloupe.
Parmi eux, notre confrère J.B LAMASSE, Architecte-urbaniste et membre de l’Association des Urbanistes de Guadeloupe (AUG) s’est fait le porte plume de cette alerte bienveillante et pratique, sur les enjeux et alternatives possibles ...

Un concours d’architecte hors sol

Un appel d’offre du Conseil Départemental est paru le 10 février 2021 pour un concours d’architectes concernant 6 600 m2 de bureaux, dits CAJ, (Cité Administrative du Jardin d’Essai), à installer en lieu et place du jardin existant.
Même si les attendus de ce programme visent à un projet de bâtiment durable certifié Haute Qualité Environnementale, sur un espace reconnu « de qualité », avec « une attention portée à la conservation des arbres existants », il est intéressant, au vu des éléments de contexte urbain, d’interroger la pertinence de ce programme à cet endroit…

Un pan de l’histoire et du paysage de la Guadeloupe

Le jardin d’essai n’était pas seulement un centre de production botanique ou horticole, mais aussi un centre d’enseignement et un lieu de promenade.
Établi voici plusieurs décennies pour servir de source d’approvisionnement de graines et plants, ses fonctions étaient principalement économiques : acclimater le maximum d’espèces végétales, souvent venues d’ailleurs, mais aussi esthétiques : fabriquer un jardin tropical public, embellir les quartiers nouvellement construits par des plantations d’arbres et arbustes adaptés aux sites.
Cette activité passée a laissé sur place quelques traces de magnifiques plantations, de grands arbres, une biodiversité à valoriser.
Aujourd’hui il est nécessaire de penser à une reconversion adéquate de ce bel espace boisé de 4,4 hectares situé au cœur de l’agglomération.

Le recyclage urbain, une utopie ?

Ce projet qui n’est encore qu’au stade de projet-programme pose la question du recyclage urbain :
Depuis une décennie, les friches urbaines de bureaux se multiplient en centre-ville, abandonnant des milliers de m2 de bâtiments sans affectation, suite à de nouvelles implantations en périphérie d’agglomération.
S’il est légitime de moderniser les administrations, comment ne pas regretter l’absence de prospective sur la modernisation d’équipements publics obsolètes mais qui bénéficient déjà de tous les réseaux urbains.
-  L’immense siège vide de la Sécurité Sociale à Pointe-à-Pitre délocalisé dans la ZAE de Providence,
-  L’ancienne Poste centrale de Pointe à Pitre, fermée depuis trois ans,
-  Le Ciné-Théâtre de la Renaissance en ruine…
-  Et que dire du site de l’ancien CHU- ISFI - plus de 70 000 m2 de bâti sur 16 hectares- qui vont déménager et pour lequel aucune décision ne semble avoir été prise.
La reconversion de l’ancien Rectorat en bureaux pour Cap Excellence semble être l’exception.
A titre d’exemple, la reconversion de l’ISFI suffirait seule à reloger en un emplacement idéalement desservi, plusieurs milliers de m2 de services.

Un Patrimoine public singulier

Déjà mis à mal par deux occupations successives pour installer le Lycée éponyme, le Jardin d’Essai s’étendait initialement sur 6 hectares et est réduit aujourd’hui à environ 4 hectares. Encore peut-on se satisfaire que ces pertes d’espaces naturels urbains aient été le support d’un ensemble pédagogique rattaché à la cité scolaire de Baimbridge.

La Cité Administrative du Jardin, prévue par le Conseil Départemental sur la parcelle CO77 réduira encore de moitié cet espace unique dans l’agglomération.
Ce jardin a-t-il vocation aujourd’hui à recevoir des bureaux administratifs, alors qu’il occupe une situation stratégique en cœur d’agglomération ?

L’objectif ZAN et la trame verte et bleue de l’agglomération Pointoise

Les villes de demain seront tramées de vert et bleu afin de s’inscrire dans un éco-développement durable.
L’objectif foncier ZAN, zéro artificialisation nette des sols, pour une gestion économe de l’espace n’est pourtant pas nouveau : inscrit successivement dans la loi SRU de 2000, la loi Grenelle, les lois ALUR et ELAN, la tendance ne s’est toujours pas inversée.

Or le Jardin d’Essai occupe une situation centrale au cœur de la cible de l’agglomération, à la croisée des deux plus grands axes majeurs d’échanges : RN5 Nord/Sud et rocade Est/Ouest.
En poursuivant cette tendance à construire selon les opportunités et sans prospective d’écodéveloppement, l’agglomération Pointoise risque désormais de perdre son plus grand espace vert central (4,4 hectares).

Pourquoi ne pas lui associer une vocation de plateforme multimodale pour les transports et déplacements en tous genres, d’autant plus pertinente qu’elle jouxte la plus grande cité scolaire de la Guadeloupe, et ceci dans un écrin de verdure remarquable et préservé ?
La réalisation d’un Jardin-Hub localisé au cœur des quartiers les plus denses de l’agglomération, à disposition des usagers, nous semble s’imposer à cet endroit tandis qu’une cité administrative de 6 600 m2 peut prendre place dans n’importe quel secteur de la ville (On pense notamment à l’axe Bd. Chanzy/ bd. de l’Hôpital dont c’était la vocation première, ou sur des terrains que l’Établissement Public Foncier local a ddéjà rendu disponibles.)
La mobilité urbaine verte de demain a besoin aujourd’hui d’espaces stratégiques.

Le paradoxe de l’opportunité foncière

Le Jardin d’Essai ne doit-il pas retrouver un usage satisfaisant davantage l’intérêt général, à savoir la préservation d’un grand jardin unique dans ce secteur urbain particulièrement dense associée à la création d’un pôle multimodal préfigurant les mobilités durables de demain ?

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